Août 1942

Rafle des juifs étrangers dans l'Ain (zone libre)

Récit établi sur la base du dossier 180W110 conservé aux Archives départementales de l'Ain.

Brouillon retrouvé dans les archives préfectorales, notes visant à l'organisation de la rafle du 26 août 1942.
 

Préparation de la rafle

Mi-août 1942, Préfecture de l’Ain

Un appel téléphonique provenant de Vichy crée la panique au standard de la Préfecture. Au bout du fil, un homme exige qu’on le mette sur le champ en communication avec le Préfet. Ce dernier, Louis Thoumas, travaille dans son bureau. Ce haut fonctionnaire d’expérience qui a enchaîné les plus hauts postes depuis la fin de la Première Guerre Mondiale est un pétainiste convaincu. Il a même été Préfet au cabinet du Maréchal le 29 juillet 1940 avant d’être installé dans l’Ain et vient d’accepter d’être Président d’honneur de la Légion des Volontaires Français.

Quand on lui annonce que c’est Vichy au téléphone, il ne s’inquiète pas un instant : il se sait irréprochable, dans la plus parfaite mouvance du régime collaborationniste. Sans doute un appel de routine.

Son interlocuteur a la voix ferme, celle d’un donneur d’ordre. Thoumas écoute et prend note :

- Vous avez très certainement reçu la circulaire du 5 de ce mois ordonnant le regroupement, dans des camps de la zone occupée, de tous les juifs entrés en France après le 1er janvier 1936. Pour faciliter l’exécution des opérations que vous allez devoir conduire, j’ai à vous transmettre des instructions précises car dans cette affaire, le gouvernement allemand met une pression énorme sur l’Etat français. Sur l’ensemble des départements concernés, ceux de la zone libre, des arrestations massives auront lieu le 26 août. Avec l’aide des services placés sous votre autorité, vous aurez à mettre sur pied et faire exécuter un plan de rassemblement des Israëlites étrangers pour cette date précise. Le train qui sera affecté au transfert des prisonniers doit repartir plein de juifs.

- Et où doivent-ils être dirigés ?

- A Vénissieux, au centre de travailleurs indochinois. Prenez soin au bon déroulement des arrestations. Procédez rapidement, avec fermeté mais sans brutalité. Officiellement, pour éviter les émeutes, ils vont en Pologne pour former un état juif. Arrêtez également les juifs qui se livrent au marché noir et qui ont fait l’objet de mesures d’internement : ils seront compris dans le convoi. Les domiciles des juifs raflés seront fermés et les clés remises au commissariat le plus proche pour éviter les pillages. Prévoyez du lait pour les enfants, un service médical, mais prévenez-les qu’il n’y aura ni permissions ni visites.

- Et pour les absents ?

- Improvisez des opérations de police et organisez des rafles dans les jours qui suivent pour récupérer ceux qui sont restés introuvables ou qui se sont échappé. J’insiste sur le fait que vous avez toute latitude pour trancher tous les cas douteux. Et n’oubliez pas : ces gens-là n’ont rien à perdre ! »

Fin de la conversation. Le Préfet sait qu’il ne doit pas décevoir...

Des arrestations dans tout le département

Quelques jours plus tard, le plan de rassemblement est mis sur pied dans le plus grand secret avec quelques cadres des Renseignements Généraux et de la brigade de gendarmerie : deux convois  suivant deux itinéraires différents partiront simultanément pour procéder aux arrestations des juifs étrangers recensés depuis bien longtemps et donc bien connus des services de l’Etat vichyste dans l’Ain.

Le commissaire des Renseignements Généraux et deux inspecteurs partent le 26 août de Bellegarde-sur-Valserine dans leur véhicule de fonction. Il est 4h ¼ du matin. Ils arrivent à Injoux à 5 h pour procéder à l’arrestation de Marjem et Laja SZYBER. Le commissaire les emmène à Hauteville et les remet à la gendarmerie qui les fait monter dans un car gazo-bois de la compagnie des Tramways de l’Ain. Ils sont bientôt rejoints par toute la famille BUKS : Haskiel, Bajla, Fajga et Armand. Le car prend la direction de Bourg.

L’autre voiture des Renseignements Généraux est partie plus tôt dans la nuit. De Bourg-en-Bresse, elle a pris la direction du sud de la Dombes. Aux Echets, David LEIBOVITZ est arrêté. A Niévroz, c’est au tour du Docteur Chaim NAJDORF. A Montluel, les inspecteurs cherchent en vain Marthe LAZAR. La brigade de gendarmerie de Montluel la traquera activement pendant plusieurs jours, mais toujours sans succès. Les deux Israëlites sont emmenés directement à Vénissieux et en revenant sur Bourg-en-Bresse, les deux inspecteurs font un crochet par Pont-de-Veyle pour arrêter Samuel GOTTFRIED ainsi que Marjem et Abraham SWIECA. Ils sont dirigés sur l’école laïque de Péronnas où ils seront rejoints par le car d’Hauteville. Le convoi repart vers 7 heures du matin à Saint-Etienne-du-Bois où l’on arrête encore 13 Juifs qui résidaient dans la commune, parmi lesquels les familles KLEJN, BERBEE et et JACUBOWITZ. Le car s’arrête une nouvelle fois à Péronnas où un déjeuner est servi aux raflés par le Secours National avant de repartir pour leur lieu d'internement temporaire : le centre de travailleurs indochinois de Vénissieux (Rhône). Ils seront ensuite transférés à Drancy.

Rapport des Renseignements Généraux sur l'opération du 26 août 1942. Archives départementales de l'Ain.
 

Dans son rapport au Commissaire divisionnaire, le chef du Service des Renseignements Généraux de l’Ain se félicite du succès de l’opération.

Beaucoup des raflés devaient mourir gazés dès leur arrivée au camp d’Auschwitz le 7 septembre 1942, soit 12 jours seulement après la rafle du 26 août.