Marius MARINET
Créateur et chef de l’Armée Secrète du secteur Cristal 4 dans l’Ain
Marius MARINET, résistant de la première heure
Marius MARINET est né le 21 mai 1896 à Vouvray (actuellement, commune de Chatillon en Michaille dans l’Ain) dans une famille de paysans pauvres qui comptait quatre enfants, dont seulement Marius et son jumeau Eugène atteindront l’âge adulte. Il perd sa mère à l’âge de 7 ans et son père à l’âge de 16 ans. Conformément à l’usage de l’époque, c’est un oncle qui le recueille jusqu’à son départ pour la guerre de 1914-1918. Il en reviendra avec une blessure, la croix de guerre et une citation mais aussi avec de solides convictions pacifistes qui le conduiront à adhérer à l’ARAC plutôt qu’à l’UFAC.
Une enfance physiquement rude, l’absence de l’entourage affectif d’une maman, les horreurs de la boucherie de 14, font de lui un homme dur au mal et toujours enclin à ne pas laisser paraître ses émotions, signe de faiblesse, croyait-il. Pour moi, il était un père sévère et exigeant en toutes choses. Son souci à mon égard était de m’épargner de connaître la condition ouvrière et d’atteindre un niveau de culture qu’il regrettait de ne pas avoir et dont il pensait qu’il lui aurait été accessible. C’est à la fin de mon adolescence, quand nous nous sommes retrouvés côte à côte dans la résistance, sans s’être concertés, que j’ai compris que sous la rude écorce il y avait un homme de cœur.
De retour du front, il épouse Gabrielle MAGNIN, fille d’un cheminot poseur de rails, qui lui donnera deux enfants, Jean et Andrée. Dans l’impossibilité de remettre sur pied l’exploitation agricole paternelle, il entre à l’usine à Bellegarde où il devient mécanicien, puis chauffeur-livreur dans une épicerie en gros. L’inconfort des camions de l’époque et l’absence des engins de levage en faisait un métier de force. Les employeurs appréciaient sa droiture et le sérieux de son travail. Mais, pour boucler les fins de mois, il consacrait ses dimanches au jardin, au champ de pommes de terre, à l’abattage et au façonnage du bois de chauffage tandis que ma mère faisait des ménages et des lessives. Toute cette vie, tout ce passé, le conduisirent inévitablement à la prise de conscience de l’injustice sociale. Il entre alors au Parti Socialiste, tendance Marceau Pivert et milite dans le syndicat des transports dont il devient le secrétaire départemental, ainsi qu’au Front Populaire.
La guerre d’Espagne, le franquisme, le nazisme étaient les soucis majeurs de cette période.
La défaite de 1940 et l’arrivée au pouvoir de Pétain marquèrent la fin des espoirs immenses qu’avait portés le Front Populaire. Cette défaite réveillera chez lui le patriotisme et la fierté de l’ancien combattant. C’est donc tout naturellement qu’il devint aussitôt un opposant à la « révolution nationale », c’est à dire, en fin de compte, un résistant avant la lettre.
Et déjà, la police vichyssoise perquisitionne son appartement à la recherche des documents concernant son activité syndicale.
Dès fin 1940 et début 1941, il participe à la restructuration clandestine des syndicats qui se fera sous le nom de Mouvement Ouvrier Français (MOF) impulsé par Madras, ancien dirigeant départemental de la CGT. La première réunion a lieu fin 1940 à Génissiat avec le « père Charent », vieux militant anarcho-syndicaliste, qui mourra plus tard en déportation. Et déjà, dès la fin juillet 1942, il est recruté officiellement par le mouvement « Libération », suite à un contact avec GREUSARD, lui aussi ancien militant syndicaliste et dirigeant départemental de ce mouvement. A ce moment, il avait quitté son emploi pour devenir, à la demande des syndicats actionnaires majoritaires, gérant de « La Ménagère », coopérative ouvrière d’alimentation (épicerie, boulangerie, charbon, bar). Le fonctionnement de cet établissement impliquait un va et viens continuel de clients et de fournisseurs, ce qui permettait aux résistants locaux et départementaux de passer inaperçus.
En septembre 1942, Marius Marinet est nommé chef du secteur « Cristal 4 » et chargé de créer l’Armée Secrète de ce secteur. Il mènera à bien cette mission puisque fin 1943, l’AS compte à Bellegarde 93 hommes et s’est de plus implantée dans toutes les communes du secteur. Au printemps 1943, l’instauration du S.T.O. oblige l’AS à tenter de persuader les jeunes de ne pas partir en Allemagne. Il prend donc l’initiative, avec ses amis, de créer des maquis dans la montagne, en particulier sur le Retord. Dispersés d’abord par petits groupes dans les fermes d’alpage, les jeunes seront ensuite regroupés au lieu-dit le « gros turc » où est installée une baraque. L’épicerie et la boulangerie de la coopérative seront le point fort de leur ravitaillement. Cela mettra d’ailleurs Marius Marinet en difficulté avec le service du ravitaillement car il se trouvera souvent en déficit de tickets de rationnement. Le regroupement de maquis en été 43 sous le commandement d’un chef départemental, Romans-Petit, le soulage d’un souci et d’un travail important. Mais les dangers s’accumulent tout de même : L’activité importante de la Gestapo dans le secteur de Bellegarde-Pays de Gex, devenue un grand danger, suscite le projet d’enlever son chef, un certain Capri. Pour cela Marinet s’assure le concours d’un commando clandestin spécialisé dans les missions délicates dans tout le département, composé majoritairement de Bellegardiens. Une indiscrétion, une imprudence, on ne sait quoi, donne connaissance du projet à un petit mouchard du Pays de Gex en relation avec la Gestapo. Le 24 novembre 1943 la Gestapo arrête mon père sur son lieu de travail (une plaque commémorative a été placée, après la guerre, sur le mur de ce lieu, qui est actuellement l’hôtel de la Colonne). Ma mère, arrêtée également, est relâchée après une perquisition de notre appartement.
Les Allemands emmènent immédiatement mon père à la prison de la citadelle de Besançon alors qu’on le croyait à la prison de Gex.
Le soir de ce funeste jour, deux amis, dont le responsable de l’AS de Châtillon en Michaille, M. Bailly, garagiste, viennent au lycée Lalande à Bourg où j’étais en classe de première, pour m’avertir et me demander de prévenir les dirigeants départementaux que mon père était seul à connaître. On pouvait craindre qu’il soit torturé et parle. On connaissait sa force de caractère mais la Gestapo était capable de briser les plus durs et il était impossible de prévoir la réaction d’un homme torturé. J’avais souvent porté des plis chez Greusard, président départemental des MUR (Mouvements Unis de Résistance), chez Charvet, responsable du service de renseignements ou chez Blandon, responsable de l’action ouvrière.
J’attends donc que mes camarades soient endormis et je quitte discrètement le dortoir et sors de l’établissement (« faire le mur » est un exercice que les lycéens internes savent très bien faire). Je me déplace prudemment en ville pour éviter les patrouilles nocturnes des Allemands et de la Milice. Arrivé à la villa de M.Greusard, rue de la citadelle, je frappe, longuement…Enfin, Madame Greusard entrouvre la porte mais refuse de me laisser entrer sous prétexte que son mari est absent, je ne peux que lui transmettre le message. Plus tard, à la libération, M.Greusard m’a raconté que justement, ce soir là, se tenait chez lui une réunion des dirigeants départementaux avec le colonel Romans-Petit. Dès le lendemain, le colonel Romans met sur pied deux commandos de maquisards pour attaquer la prison de Gex. Ce fut en vain puisque Marius Marinet était déjà à Besançon. En même temps que lui sont arrêtés et conduits à Besançon, Joseph Demornex restaurateur à Saint Jean de Gonville, John Masson scieur à Thoiry et Lucien Pouchoy et sa femme restaurateurs à Bourg, trois lieux où le commando qui devait capturer Capri savait pouvoir s’arrêter en cas de nécessité ( le mouchardage avait bien fonctionné).
Perrier et Adhenot également mêlés à l’affaire, sont arrêtés eux aussi. Le 27 janvier 1944, ils partent de la gare de l’Est à Paris à destination du camp du Struthof, sauf Lucien Pouchoy qui sera transféré à Dachau le 4 septembre 1944.
Le camp du Struthof est situé en Alsace à plus de 800m d’altitude où l’hiver est particulièrement rude. La majorité des déportés est classée « Nuit et Brouillard » (N.N.), leurs conditions de détention sont encore plus terribles que celles des autres déportés. Ils n’ont même pas droit à la tenue rayée mais sont vêtus d’oripeaux ridicules récupérés et sont interdits d’infirmerie. Marius Marinet n’a pas tenu plus de deux mois dans cet enfer. A leur arrivée, le commandant Kramer, tristement célèbre, les avait accueillis à la porte du camp par ces mots : « Vous entrez ici par la porte, vous en sortirez par la cheminée »
Après leur arrestation, nous ne savions pas quelle serait leur destination. La seule trace du passage à la gare de l’Est à Paris de Marius Marinet et ses malheureux compagnons, est un petit billet où était griffonné leur départ, billet trouvé sur le ballast par un cheminot qui le fit parvenir à ma mère accompagné par un mot signé X. Après, plus rien…jusqu’à l’annonce du décès de Marius Marinet par Joseph Demornex rescapé, libéré à Dachau. Il avait assisté à sa mort sur la place d’appel le 29 mars 1944 et avait dû le maintenir debout jusqu'à la fin de l’appel. Marius Marinet est mort au Struthof, vêtu d’oripeaux, il est mort de froid, de faim, de coups, d’épuisement par le travail et d’absence de soins…Il laissait deux orphelins de vingt et douze ans…Il avait quarante huit ans…
Bellegarde le 20/06/1999
Jean MARINET